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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/186

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bout de ce que je sens. Mon ami, je me répéterais et je dirais comme Sterne à Lisette : Votre plaisir est le premier besoin de mon cœur. — Mon Dieu ! oui il est difficile de commencer une lettre, quand c’est avec de l’esprit qu’on fait du sentiment. Mais cependant il faut écrire à madame de Boufflers. Elle ne m’a pas seulement dit votre nom ; je n’en suis pas fâchée : mais comment ne saisit-on pas toutes les occasions de parler de ce qui plaît ? Il y a un certain degré d’affection qui gêne : c’est celui-là qui m’a empêchée de lui parler de vous ; mais elle n’a jamais senti cet embarras, j’en suis bien sûre : elle n’a que faire d’aimer, elle est si aimable ! — Mon ami, je me connais si bien, que je serais tentée de croire que vous vous moquez de moi, lorsque vous me parlez de mes succès dans le monde. Oh, mon Dieu ! il y a huit ans que j’en suis retirée du monde ; du moment que j’ai aimé, j’aurais eu du dégoût pour les succès. A-t-on besoin de plaire, quand on est aimée ? Reste-t-il un mouvement, un désir qui n’aient pour objet la personne qu’on aime, et pour qui on voudrait vivre exclusivement ? Mon ami, vous n’en voulez pas tant, n’est-ce pas ?



LETTRE LIX

Lundi, après l’arrivée du facteur, 1774.

Point de lettre ! en vérité, si j’avais plus de confiance en votre amitié, je me vengerais en ne vous écrivant pas non plus. Mon Dieu ! comment peut-on avoir cette négligence, cet oubli pour ce qui nous