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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/192

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longs ! qu’ils pèsent sur mon âme ! qu’il est difficile, qu’il est même impossible de se distraire un moment du besoin de l’âme ! Les livres, la société, l’amitié, et enfin toutes les ressources imaginables ne servent qu’à faire mieux sentir le prix et le pouvoir de ce qui vous manque. Je ne réponds pas, mais je suis pénétrée jusqu’au fond du cœur de ce que vous me dites sur M. de Mora. M. d’Alembert a écrit à M. de Fuentes ; il a écrit de son seul mouvement, et en me lisant cette lettre il pleurait et me faisait fondre en larmes. Mon Dieu ! cette pensée me déchire ! — Mon ami, je veux m’occuper de vous, et vous justifier le mouvement qui m’a fait brûler vos lettres : je comptais ne pas survivre vingt-quatre heures à ce sacrifice ; et dans ce moment, mon sang, mon cœur étaient glacés par le désespoir : je n’ai senti la perte que j’avais faite que plus de six jours après. Ah ! vingt fois, cent fois j’ai regretté d’avoir brûlé ce que vous aviez écrit : rien ne peut réparer cette perte, et j’en suis désolée. — Oui, M. Turgot travaille aux corvées. Bonjour, mon ami ; n’êtes-vous pas las de lire ce griffonnage ?



LETTRE LXII

Dimanche soir, 16 octobre 1774.

Mon ami, je n’ai point répondu hier à votre charmante lettre, et je ne répondrai jamais à mon gré à ce que vous me dites sur M. de Fuentes. Eh ! mon Dieu ! où trouver des expressions qui rendent un sentiment tout nouveau pour mon âme ? Ah ! vous m’avez péné-