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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/197

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ce soir. Vous me direz si vous êtes rassuré sur la santé de ce qui vous est cher ; vous me parlerez peut-être de votre retour : en un mot, vous me parlerez ; et si vous saviez combien je me sens dénuée, abandonnée, lorsque je ne sais rien de vous ! Ah ! que cette petite lettre était courte, qu’elle était triste, qu’elle était froide ! Il me semble qu’en me disant que vous aviez été inquiet et même alarmé, vous ne me disiez pas tout ! Qu’aviez-vous donc ? me cacheriez-vous votre cœur ? voudriez-vous encore déchirer le mien ? Ne m’avez-vous pas dit que vous me diriez tout : que vous auriez une confiance sans réserve, que j’étais votre amie ; que votre âme s’épancherait dans la mienne ; que vous me feriez vivre de tous vos mouvements ; que ce qui pourrait blesser mon cœur ne me serait pas inconnu ? Ah ! mon ami, connaissez-moi bien : voyez ce que je suis pour vous ; et d’après cette connaissance, je vous réponds qu’il vous sera impossible de concevoir le projet de me tromper, ni même de me cacher rien.


Samedi matin.

Je vous quittai hier par ménagement pour vous : j’étais si triste ! je venais d’Orphée. Cette musique me rend folle : elle m’entraîne ; je ne puis plus manquer un jour : mon âme est avide de cette espèce de douleur. Ah ! mon Dieu ! que je suis peu au ton de tout ce qui m’entoure ! et cependant jamais on n’a dû chérir autant l’amitié : mes amis sont d’excellentes gens ; leurs soins, leur intérêt ne se lassent point, et je suis à comprendre ce qu’ils peuvent trouver en moi qui les