Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus de gens que cela qui ont des droits sur moi : mais c’est par le sentiment et la confiance ; et cela ne change rien à la disposition où je suis pour le général. Voici le résultat : ce qui est moins que moi m’éteint et m’assomme ; ce qui est à côté de moi m’ennuie et me fatigue. Il n’y a que ce qui est au-dessus de moi, qui me soutienne et m’arrache à moi-même, et je dirai toujours comme cet ancien : Mes amis, sauvez-moi de moi-même. Tout cela prouve que la vanité est bien éteinte en moi, mais qu’elle est remplacée par un dégoût universel et mortel. La comtesse de Boufflers n’en est pas là ; aussi est-elle bien aimable. Je l’ai vue beaucoup cette semaine, elle vint dîner chez madame Geoffrin mercredi ; elle fut charmante ; elle ne dit pas un mot qui ne fût un paradoxe. Elle fut attaquée, et elle se défendit avec tant d’esprit, que ses erreurs valaient presque autant que la vérité. Par exemple, elle trouve que c’est un grand malheur que d’être ambassadeur, il n’importe de quel pays, ni chez quelle nation ; cela ne lui paraît qu’un exil affreux, etc., etc. Et puis elle nous dit que dans le temps où elle aimait le mieux l’Angleterre, elle n’aurait consenti à s’y fixer, qu’à la condition qu’elle y aurait amené avec elle vingt-quatre ou vingt-cinq de ses amis intimes, et soixante à quatre-vingts autres personnes qui lui étaient absolument nécessaires ; et c’était avec beaucoup de sérieux, et surtout beaucoup de sensibilité qu’elle nous apprenait le besoin de son âme. Ce que j’aurais voulu que vous vissiez, c’est l’étonnement qu’elle causait à milord Shelburne. Il est simple, naturel ; il a de l’âme, de la force : il n’a de goût et d’attrait que pour ce qui lui ressemble, au moins par le naturel. — Il a été voir M. de Malesherbes ; il est revenu enchanté. Il me disait : « J’ai vu