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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/21

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tives, instructives souvent, parfois emphatiques et romantiques, en regard des lettres de sa brûlante amie. M. de Guibert, au départ, a déjà un tort. Il dit qu’il part le mardi 18 mai, puis le mercredi, et il se trouve qu’il n’est parti que le jeudi 20, et sa nouvelle amie n’en avait rien su. Il est évident que ce n’est pas elle qui a eu la dernière pensée et le dernier adieu. Elle en souffre déjà, elle se reproche d’en souffrir ; elle vient de recevoir une lettre de M. de Mora, toute pleine de confiance en elle ; elle est prête à lui tout sacrifier, « mais il y a deux mois, ajoute-t-elle, je n’avais pas de sacrifice à lui faire ». Elle croit qu’elle aime encore M. de Mora, et qu’elle peut arrêter, immoler à volonté le nouveau sentiment qui la détache et l’entraîne loin de lui. La lutte commence, elle ne cessera plus un moment. M. de Mora absent, malade, fidèle (quoi qu’en ait dit cette méchante langue de Mme Suard), lui écrit, et, à chaque lettre, va raviver sa blessure, ses remords. Que sera-ce quand, revenant exprès pour elle, il va tomber plus malade et mourir en route à Bordeaux ? Ainsi, jusqu’à la fin, on la verra partagée dans son délire entre le besoin, le désir de mourir pour M. de Mora, et l’autre désir de vivre pour M. de Guibert : « Concevez-vous, mon ami, l’espèce de tourment auquel je suis livrée ? J’ai des remords de ce que je vous donne, et des regrets de ce que je suis forcée de retenir ». Mais nous ne sommes qu’au commencement.

M. de Guibert, qui est à la mode, et assez fat, laisse après lui, en partant, plus d’un regret. Il y a deux femmes, dont l’une qu’il aime, lui répond assez mal ;