LETTRE XCV
Quand on chérit la bonté, et surtout quand on aime, il ne faut être ni difficile, ni injuste. Ainsi, mon ami, je ne vous accuserai point, je ne me plaindrai pas. Ah ! non, vous n’avez pas tort, et l’abandon où vous m’avez laissée aujourd’hui a été involontaire ; vous vous le serez reproché ; peut-être aurez-vous eu assez de bonté pour dire : Elle souffre, et c’est moi qui suis la cause de son mal. Mon ami, si votre cœur a senti ces mots, vous êtes trop puni, et je serai trop vengée ; mais ne serai-je pas plus heureuse demain ? ne dînerai-je pas avec vous ? ne vous verrai-je point ? Je compte aller voir M. Turgot jeudi ; je propose à M. de Vaines de me mener à Versailles, et vous aussi, si cela vous convient. Si cet arrangement n’a pas lieu, l’envoyé palatin m’a offert de me mener, et si vous pouvez, si vous voulez, je dirai comme dans Démocrite : Nous allons à la cour, on t’a mis du voyage. M. de Condorcet et M. d’Alembert y vont demain ; ce dernier lui lira des éloges. M. Roucher lui a dit aujourd’hui son poème ; voilà deux bonnes journées : il aura peu parlé, et il aura eu du plaisir. — Mon ami, si vous ne me voyiez pas aussi enflée d’orgueil que la grenouille, je vous dirais que M. Turgot m’a fait prier de lui porter mes précieuses rapsodies, et je lui fais dire demain que cette bonne fortune ne saurait lui manquer. — Mon Dieu ! si je vous avais