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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/261

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affligé de faire mon malheur. Mon ami, croyez-en un cœur qui est tout à vous, et qui ne respire que pour vous. Ne combattez plus, abandonnez-vous à votre penchant : du moins il me restera la pensée consolante que j’ai fait quelque chose pour votre bonheur ; et dans la situation forcée où vous me mettez, j’ai à me reprocher de le troubler. Ah ! délivrez-moi et du mal que je vous fais, et de celui que vous me faites. Mon ami, soyez de bonne foi, je vous en conjure ; que faut-il faire pour mériter d’entendre la vérité ? Dites, rien ne me sera impossible, écoutez le cri de votre âme, et vous cesserez de déchirer la mienne. Oui, je peux me passer d’être aimée, et il m’est affreux de douter de vous, de vous soupçonner : estimez-moi assez pour ne me pas tromper ; je fais serment, par ce qui m’est le plus cher, par vous, de ne jamais vous faire repentir de m’avoir dit vrai. Je vous aimerai pour le trouble et la peine que vous m’aurez épargnés ; jamais vous n’entendrez un reproche. En vous perdant, je ne veux pas conserver le droit de me plaindre, ni même celui de vous intéresser.

Mon ami, je sais que vous avez été charmé de l’Opéra : madame d’Héricourt et le comte de Creutz sont venus m’en dire des nouvelles ; je ne les ai pas écoutés, parce que c’était vous que j’aurais voulu entendre. D’ailleurs l’abbé de B… venait de me troubler en me parlant de vous ; il prétend qu’on lui dit que j’étais folle de vous ; ce sont ses expressions, et il a ajouté : non, je ne suis pas méchant, ce n’est ni un piège, ni une vengeance. Je suis restée confondue, et heureusement on a annoncé dans le même instant l’archevêque de Toulouse. Que pensez-vous de cela ? je ne sais si je cherche à me rassurer, mais je crois que c’est un artifice de l’abbé de B…, auquel j’ai