Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que vous ne soyez pas trop bien avec moi, il s’en faut bien que vous y soyez aussi mal que j’y suis moi-même. Je suis troublée, agitée, et d’une inconséquence qui va jusqu’à l’égarement. Je ne sais ce qui résistera le plus longtemps, de ma tête ou de ma vie ; mais il est impossible de supporter un état aussi violent. Si je vous disais tout, je vous ferais peur, vous me haïriez. Ah ! que je suis souffrante, que je suis malheureuse ! que je regrette ! que je crains l’avenir ! mais il ne tient qu’à moi. Adieu, mon ami, ma tête, mon âme se sont renversées ; je ne puis plus me calmer ; et, dans le trouble où je suis, je ne sais si je vous aime. — Voilà ce billet de l’Académie. Vous devriez aller dîner chez madame la duchesse d’Anville, on se met à table à une heure, et tout le monde va à l’Académie. M. de Condorcet y sera ; il a passé la soirée avec moi hier, ce sera de même aujourd’hui : mais demain j’espère qu’il n’aura pas tant de bonté ; et vous en aurez, vous, assez pour venir le matin me dire si je puis compter sur vous le soir.



LETTRE CVIII

Onze heures du soir, 1775.

Eh ! mon Dieu ! non je n’ai pas été à l’Académie : je voulais vous voir pendant la séance, et vous ne l’avez pas voulu. J’ai vu des gens enivrés de plaisir, et j’étais pénétrée de tristesse, j’étais inquiète. Vous souffriez, et vous n’aviez pas besoin de me voir : voilà ce que je sentais, et j’entendais mal tout ce qui se disait