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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/283

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peut-être eu à combattre ma résolution : elle fit mieux, elle m’y confirma. Je continuai mes soins pour votre Éloge, et je jouissais avec une sorte de plaisir du genre d’intérêt qui m’animait. Ce n’était pas vous, ce n’était pas mon sentiment que je satisfaisais, c’était mon orgueil que je contentais. J’ai donc assez de force, me disais-je, pour obliger, pour servir ce que je hais et ce qui m’a fait mal ; et par la manière que j’y mettrai, je suis sûre qu’il ne me sera pas obligé. Cette pensée soutenait mon courage : je me sentais tant de force contre vous, que je relisais votre lettre ; et loin que mon âme s’en amollît, elle devenait plus forte, en voyant le peu d’intérêt et de regret que vous me montriez. Je la jugeai sans passion : car elle ne m’irritait point ; elle me prouvait seulement que j’avais pris le seul parti raisonnable. Je continuai donc à agir pour le succès de votre affaire, et j’y mis tant d’activité, que l’on pouvait me croire animée du plus vif intérêt. Je reçus votre billet de Bordeaux ; je pensai que je ne devais pas en craindre l’effet, et qu’au contraire, vous me donneriez de nouveaux motifs de m’éloigner de vous. Je l’ouvris donc avec empressement : il était court, et quoique dénué de sentiment, il me montrait un regret qui tenait à l’honnêteté ; je n’en fus pas touchée, mais j’en fus plus calme. Tant mieux, s’il est honnête, me disais-je ; s’il peut me paraître moins coupable, j’en serai moins humiliée. Mon âme n’a pas besoin de le haïr, c’était un tourment pour elle. L’indifférence me rendra au repos, et cette disposition me remettra peut-être en état de jouir des consolations qui me sont offertes. Il faut m’abandonner aux soins de l’amitié, il faut répondre à des gens que j’aurais dû rebuter ; il faut leur plaire, et cette occupation me détournera des pensées qui flétrissent et abattent mon