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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/285

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sont que froides, basses et méprisables : elles n’ont point aimé, elles ne sauraient haïr ; en un mot, elles ne connaissent que la galanterie, leur âme n’a pu atteindre à la hauteur de l’amour et de la passion ; et madame Riccoboni elle-même n’a pu s’y élever, même par l’imagination. Mon Dieu ! que je fus blessée de ce rapprochement que vous faisiez de mon malheur à cette situation de roman ! que vous me parûtes froid et peu délicat ! que je me trouvai supérieure à vous, en me sentant capable d’une passion que vous ne pouviez pas même juger ! Mais il faut terminer cette longue lettre qui vous mettra en état de mieux apprécier ma position actuelle. Je vous ai rendu compte de tout ce que j’ai éprouvé : j’y ai mis la même vérité que j’ai toujours eue avec vous ; et par suite de cette vérité qui m’est sacrée, je ne vous dirai point que je désire votre amitié, ni que j’en ai pour vous : ce sentiment ne peut avoir de douceur et de charme, que lorsqu’il est fondé sur la confiance, et vous savez si vos procédés et votre conduite ont dù m’en inspirer. Adieu. Souffrez-moi le mouvement d’orgueil et de vengeance qui me fait trouver du plaisir à prononcer que je vous pardonne, et qu’il n’est plus en votre pouvoir de me faire connaître la crainte, sous quelque rapport que ce puisse être.

Je joins ici trois lettres que je vous prie de relire : ce n’est pas que je prétende, ni que je veuille vous inspirer ni regret, ni intérêt ; mais je veux que vous frémissiez une fois de tous les maux que vous m’avez causés. Puisse ce souvenir vous rendre meilleur. J’exige (et votre conscience vous dira que j’en ai le droit), que vous me renvoyiez ces lettres sous l’enveloppe de M. de Vaines, et avec une double adresse, par le courrier qui suivra celui où vous les aurez reçues.