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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/293

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plus grand et plus élevé. Vous le verrez : leur ministère laissera une profonde trace dans l’esprit des hommes. Tout ce que je vous dis là est encore un secret. Ce choix-là sera reçu avec transport du public ; il y a quelques gens qui en enrageront, mais ils se tairont. Les intrigants auront bien peu de moyens, cela est bien touchant. Oh ! le mauvais temps pour les fripons et pour les courtisans ! n’y a-t-il pas bien de la délicatesse à faire cette distinction ! cela s’appelle partager un cheveu en quatre.

À présent écoutez-moi, tremblez : car je vais juger deux éloges de Catinat, qui seront, à ce que j’imagine, les deux seuls qui occuperont l’Académie. Les auteurs de ces deux éloges sont M. de G… et M. de la Harpe. M. de G… est auteur d’un excellent ouvrage de tactique et d’une tragédie : ces deux ouvrages l’ont fait connaître comme un homme plein de talent et d’esprit, et ils annoncent partout une âme élevée et pleine d’énergie. C’est d’après cette connaissance et la prévention qu’elle doit inspirer pour M. de G…, que j’ai lu et jugé son éloge de Catinat. Vous connaissez M. de la Harpe mieux que moi, vous savez que c’est un excellent littérateur qui a beaucoup d’esprit, et surtout le goût le plus éclairé et le plus pur : voilà la justice que je lui rendais avant que de lire son éloge de Catinat. À présent, écoutez ce que la présomption aveugle, sotte et bête, a osé prononcer, et voyez si vous en serez irrité, ou si vous prendrez le parti de dédaigner cet arrêt. L’éloge de M. de La Harpe est écrit avec sa facilité ordinaire, mais avec une correction dont il s’est dispensé tant qu’il n’a pas eu M. de G… pour rival. Son style est à la fois facile et élevé : il est si rare de réunir ces deux mérites, du moins à ce point, qu’il me semble qu’on pourrait dire