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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/295

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ne m’informerais seulement pas si M. de La Harpe vit à Paris. Mon ami, je meurs d’impatience que vous soyez à portée de juger mon jugement ; mais je vous demande votre parole d’honneur que vous n’en ferez part à personne, pas même à ce qui vous est le plus cher : je ne veux pas avoir le dégoût ou la gloire que m’a causée le jugement des deux éloges de La Fontaine. Mon ami, je n’ai ni amour-propre ni prétention avec vous. Il m’est commode d’être bête, et je me laisse aller : mais avec les autres, je ne me gêne pas, car je n’en ai plus la force. Je ne leur parle point, je me contente de dire : Cela est bon, cela est médiocre ou mauvais, et je me garde bien de me fonder en raison ; à coup sûr, cela m’ennuierait autant que je les ennuierais. Et qu’importe d’avoir de l’esprit avec ceux qui ne vont pas à mon âme, c’est bien moi qui suis éteinte. Mon âme est encore animée par le malheur, mais elle est restée sans chaleur : j’ai perdu ce qui m’échauffait, ce qui m’éclairait, ce qui m’exaltait ; il ne me reste que des souvenirs qui couvrent de crêpe tous les objets. Ô mon ami, M. de Mora n’est plus, et vous m’avez empêchée de le suivre ! par quelle fatalité vous ai-je inspiré un intérêt qui m’est devenu si funeste ?


Vendredi 7 juillet.

J’oublie de vous dire que M. de Sartine doit entrer au conseil : c’est pour le consoler. Je vous disais, il y a quelques jours, que j’étais environnée de mes amis ; mais, depuis deux jours, c’est une désertion entière : les inspections, les régiments, les terres, les eaux m’ont tout enlevé. Cependant l’ambassadeur de Naples