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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/298

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vous haïrai avec d’autant plus de force que je vous ai montré plus de faiblesse. Cessez donc de me tourmenter : vous faites trop et trop peu ; laissez éteindre un sentiment que vous ne voulez pas, que vous ne pouvez pas partager. Mon Dieu ! j’étais guérie sans ce maudit éloge de Catinat ; j’en serais restée à cet infâme billet du château de C…, dont le souvenir me fait encore frémir de colère. Je n’aurais plus rien lu de vous, et du moins, dans ce silence profond, j’aurais eu la force de guérir ou de mourir. Mon ami, vous êtes bien coupable : car vous faites bien froidement le désespoir de ma vie. Après m’avoir dit que vous savez que je souffre, vous ajoutez que vous auriez besoin de vivre à la campagne, et que la disposition dans laquelle vous êtes durera longtemps. Quoi ! vous savez que vous me désolez, et vous pensez à vous ? Vous auriez envie d’aller à la campagne, et non pas de me voir, cela est-il vrai ? et si cela est vrai, pourquoi me le dites-vous ? Vous devez me taire ce qui est fait pour révolter mon âme, oui, vous le devez : car n’allez pas croire qu’il n’y ait qu’une sorte de devoir, et qu’ils soient tous remplis lorsqu’on a satisfait à ceux qui ont pour objet l’intérêt personnel, et ceux qui sont soumis au jugement du monde. Sans doute, c’en est assez pour ces âmes grossières et vaines qui n’attachent d’idée de bonheur qu’à l’argent, et de considération qu’à l’approbation des sots qui les environnent. C’est à votre conscience, moi, que j’en appellerai toujours, et c’est la mienne qui vous jugera, lorsque ma passion se taira. Mon ami, vous me faites mal ; vos lettres sont froides, tristes et indifférentes ; vous ne m’avez pas dit un mot qui vînt du cœur. Pourquoi donc le mien s’est-il abandonné à vous ? Enfin dites-moi pourquoi je vous aime, lorsque j’aurais de si