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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/299

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fortes raisons de ne vous aimer pas ; et ce n’est pourtant point comme la plupart des femmes, par sotte et plate vanité ou par désœuvrement. À l’égard du vide et du désœuvrement, je ne le connais pas : mon âme serait occupée cent ans de ce que j’ai aimé et de ce que j’ai perdu ; et ma vie serait pleine de mille intérêts, si je le voulais. Je repousse, j’écarte sans cesse ce qui voudrait pénétrer jusqu’à mon âme. Ainsi vous voyez donc que c’est par une fatalité toute particulière que je suis condamnée au supplice qui me tue ; et vous, vous vous en faites spectateur froid ! vous étiez tant accoutumé à ne plus avoir signe de vie de moi, une feuille de papier blanc répondait à tout ce que vous pensiez et sentiez pour moi, mon ami ! et je vous ai écrit des volumes : songez-vous ce que c’est que la gaucherie et la sottise de ma conduite ? J’en suis confuse, mais je veux un peu m’en venger en vous disant que, dans cette lettre à laquelle je réponds, celle du 1er juillet, il y a quelque chose de bien mauvais goût, mais bien mauvais. Oh ! je vous le garde, et si lorsque je vous confondrai, vous ne me haïssez pas, il faut que vous soyez bien bon. Mais, oui, vous êtes doux, vous êtes bon. Ah ! vous êtes aussi bien méchant, bien dur, bien inconséquent ; mais ce que vous êtes plus que tout cela et qui couvre tout, c’est que vous êtes b… a… ! Je n’ose pas écrire ces mots en toutes lettres : il me semble que c’est comme si je disais : je suis folle ; vous seriez capable de le croire, et l’on se met trop à l’aise avec les fous. Je veux vous gêner, je veux vous tyranniser, je veux vous faire souffrir pendant une heure ce que vous me faites souffrir toute ma vie. — Mais à propos, je ne vous ai pas encore parlé de cette bague que vous m’avez donnée en partant : elle était le symbole, l’emblème de tout ce qui