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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/323

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du mal que vous avez fait, je vous avertis que vous vous égarez encore. Pour que vous eussiez le mérite de cette conduite, où vous mettez une patience, un courage, une bonté, une indulgence infatigables, il faudrait, dis-je, que tant de vertu eût un effet ; il faudrait soulager, consoler ; et, je vous l’ai répété cent fois, vous ne pouvez plus rien pour moi, que me faire souffrir. Perdez donc l’envie de vouloir me faire la victime de votre morale, après m’avoir fait celle de votre légèreté. Je vous assure que je ne prétends point vous faire des reproches : je vous pardonne de tout mon cœur et ce que je vous dis aujourd’hui, c’est pour répondre à votre lettre. Dans ce billet de samedi, vous me montriez la crainte que vous aviez, que l’influence du malheur que vous prétendez avoir, ne vînt à se répandre sur votre femme. Que fallait-il répondre à cela ? Que cette crainte seule suffirait pour l’en garantir ; que le sacrifice que vous lui avez fait de votre temps, de vos affections et de votre personne doit aussi l’en garantir. Qu’ajouter à cela ? Que je le souhaite : et voilà en vérité, tout ce que l’on peut pour quelqu’un avec qui on n’a aucun rapport. Des gens qui ne vous ont point vu avec madame votre femme, et qui ne savent point comme moi, le sentiment que vous aviez pour elle depuis un an, disent que vous avez converti les devoirs du mariage en servitude. Ils trouvent que ce coup de cloche d’onze heures est austère comme la règle des couvents : vous voyez bien qu’ils disent des sottises ; parce qu’ils ne sont pas encore dans votre secret. Pour moi qui y suis et qui dois vous dire le mien… ; mais, non, en voilà assez pour aujourd’hui. — Oh ! je suis bien inquiète ; le vicomte de Saint-Chamans va de plus mal en plus mal ; on ne connaît rien à son état ; pour moi, il m’effraie. Le