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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/324

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comte de C..... versait des larmes hier : sa femme est accouchée heureusement ; mais son enfant se meurt. Ce n’est pas son enfant qu’il pleurait, mais le chagrin qu’en aura sa femme, et le tourment qu’il éprouve de la tromper sur l’état de cet enfant. Les gens heureux ont donc aussi leurs peines ! Oui, puisque vous dites que vous en avez beaucoup : mais vous avouez que l’exercice les soulagera, et je le crois comme vous le dites. — Ma santé est pire que jamais ; j’ai eu plusieurs accès de fièvre : mais j’ai fait serment de ne pas m’empoisonner de la façon des médecins. Adieu. Je ne réclame ni votre sentiment, ni votre morale, ni votre vertu. Voyez si je ne vous laisse pas libre.



LETTRE CXXX

Samedi à quatre heures du matin, 23 septembre 1775.

Hélas ! il est donc vrai, on survit à tout ! l’excès du malheur en devient donc le remède ! Ah ! mon Dieu ! le moment est arrivé où je puis vous dire, où je dois vous dire avec autant de vérité : je vivrai sans vous aimer, que je vous disais il y a trois mois : vous aimer ou cesser d’être. Ma passion a éprouvé toutes les secousses, tous les accès d’une grande maladie. J’ai d’abord eu la fièvre continue avec des redoublements et du délire ; et puis la fièvre a cessé d’être continue, elle s’est tournée en accès, mais si violents, si déréglés, que le mal n’en paraissait que plus aigu. Après s’être soutenue longtemps à ce degré de danger, elle a un peu diminué, les accès se sont éloignés, ils se