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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/325

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sont affaiblis. Il y a eu dans les intervalles des moments de calme qui ressemblaient à la santé, ou qui du moins la faisaient espérer. Après un peu de temps la fièvre a tout à fait cessé : et enfin, depuis quelques jours il me semble qu’il ne me reste plus que l’ébranlement et la faiblesse qui suivent toujours les longues et grandes maladies. Je crois pressentir une convalescence prochaine ; non pas cette sorte de convalescence que M. de Saint-Lambert peint, en disant : Oh ! que l’âme jouit dans la convalescence ! Non, la mienne ne connaîtra plus cet état de jouissance ; mais elle sera soulagée, elle ne sera plus déchirée activement, et c’est bien assez ; car, quoique délivrée d’un mal bien cruel, il m’en restera encore un plus ancien, plus douloureux, plus profond, plus déchirant ; et cette plaie ne se fermera jamais, mais elle sera plus irritée et empoisonnée par le chagrin et le remords de tous les instants. Enfin, elle trouvera peut-être des calmants, et c’est le seul remède aux maux incurables. Voilà l’histoire et le récit le plus fidèle de l’état de mon âme : il n’y a pas un mot, pas une circonstance qui ne soient applicables à ma situation actuelle. Je vous ai aimé jusqu’à l’égarement ; j’ai éprouvé tous les degrés, toutes les nuances du malheur et de la passion ; j’ai voulu mourir. J’ai cru mourir, j’ai été retenue par le charme attachée à la passion, même à la passion malheureuse. Depuis j’ai réfléchi, j’ai flotté longtemps, j’ai souffert encore ; en un mot, je ne sais si c’est vous, si ce sont vos procédés, si c’est la nécessité ou peut-être l’excès de mon malheur : tout enfin m’a ramenée à une disposition moins funeste. J’ai regardé autour de moi ; j’y ai trouvé des amis que mon malheur et ma folie n’ont point encore rebutés : j’ai vu que j’étais environnée de soins, de bontés, de marques