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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/326

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d’intérêt. Au milieu de tant de secours et de tant de ressources, j’ai trouvé un sentiment plus vif, plus animé : il est vrai, si tendre, si doux, qu’il faudra bien qu’à la fin il fasse pénétrer dans mon âme du calme et de la consolation. Et puis-je jamais prétendre à mieux et à plus que cela ? Et après l’affreuse tempête dont je suis battue depuis trois ans, n’est-ce pas là rentrer dans le port ? n’est-ce pas déjà voir le ciel ouvert ? Non, ne croyez point que je m’exagère les progrès de ma guérison ; je me vois telle que je suis, et si je me sens un peu plus calme, je me crois un peu plus susceptible de consolation. Sans doute il m’en aurait moins coûté pour mourir, que pour me séparer de vous. Une mort prompte eût satisfait mon caractère et ma passion ; mais la torture que vous avez donnée à mon âme en a épuisé la force : elle a perdu son énergie ; et puis je me suis vue aimée, cela amollit. Comment quitter la vie, lorsqu’on veut vous y retenir par le sentiment le plus tendre ? Ah ! il fallait mourir dans le moment où j’ai perdu ce qui m’aimait, et ce que j’ai plus aimé que tout le reste de la nature ! Voilà le seul reproche que je me permettrai de vous faire. Pourquoi me reteniez-vous ? était-ce donc pour me condamner à une mort lente et plus cruelle que celle où je courais ! Plût au ciel que je pusse effacer de mon souvenir, et anéantir de ma vie les dernières années qui viennent de s’écouler ! Celles qui les avaient précédées seront à jamais le charme et le tourment de mon cœur. Ah ! six ans du plaisir et du bonheur du ciel doivent faire trouver l’existence un assez grand bien pour en rendre encore grâce au ciel, même au comble du malheur ! Si je pouvais retrouver le repos ; si mon âme pouvait s’y fixer ; peut-être que le peu de jours qui me restent à vivre pourraient encore être