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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/328

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encore entretenu de tout ceci : je craignais qu’en le prononçant, cela n’y donnât trop de consistance ; je ne voulais pas même y arrêter ma pensée. Dans les premiers jours de mon désespoir, lorsque vous eûtes prononcé contre mon repos et ma vie, je rejetai avec horreur ce qui voulait me distraire de vous : j’aimais mieux mourir que m’en séparer. J’espérais me calmer sur l’arrêt que vous veniez de prononcer contre moi : je croyais que votre présence me ferait du bien ; que vous me diriez ce que j’avais besoin d’entendre ; que vous m’aideriez à supporter le coup dont vous veniez de me frapper. Je n’ai rien trouvé de tout cela, et sans prétendre former une plainte, ni vous faire un reproche, je me suis persuadée, mais d’une manière absolue, que votre mariage devait à jamais rompre toute liaison entre nous ; qu’elle ne me donnerait jamais que du tourment, que je vous deviendrais à charge, et peut-être odieuse. Dans le premier moment, je crus que je ne pouvais plus vivre sans vous haïr. Cet affreux mouvement ne pouvait pas durer dans une âme remplie de passion et de tendresse. J’ai depuis éprouvé toutes les angoisses, toutes les agitations de la douleur ; et me voilà enfin dans une disposition que je crois du calme, et qui n’est peut-être que de l’épuisement et de l’abattement : mais du moins je ne veux plus à l’avenir avoir à me reprocher ce que je souffrirai : c’est, je crois, un grand mal de moins. Jusqu’ici j’ai justifié ce qu’a dit La Rochefoucauld, que l’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. Oh ! que cela est vrai ! je meurs de confusion en me rappelant ce que j’avais osé prétendre. Oui, j’ai été assez exaltée, ou plutôt assez égarée pour ne pas croire impossible d’être aimée de vous par-dessus tout ; et ma folie m’en