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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/329

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donnait des raisons qui étaient assez plausibles pour contenter mon sentiment. Voyez, je vous prie, à quel degré d’illusion j’ai été menée ! je vous jure pourtant que ce n’était point l’amour-propre qui m’égarait : c’est lui au contraire qui m’a aidée à revenir à la vérité et à la raison. C’est lui qui me juge aujourd’hui avec plus de sévérité que vous ne pouvez en avoir ; tout ce que vous me refusez, tout ce que vous n’avez pas été pour moi, ne me paraît plus qu’un résultat nécessaire de la justesse de votre goût et de votre justice. Oh ! ne croyez pas cependant que je trouve que vous ayez été équitable dans votre conduite avec moi : c’est ma raison et rien que ma raison qui prononce aujourd’hui ; et, en me voyant aussi faible, aussi coupable, aussi folle que je l’ai été, cela ne justifie point tout le mal que vous m’avez fait : mais que je vous pardonne de toute mon âme ! Peut-être ne se consolera-t-on jamais des grandes humiliations : mais je dois espérer que le temps en effacera l’impression. Je souhaite que votre mariage vous rende aussi heureux qu’il m’a rendue malheureuse : croyez que, lorsque le souhait est bien sincère, la générosité et la bonté ne peuvent pas être portées plus loin. — Je n’ai point reçu de réponse à une lettre que je vous ai écrite il y a huit jours. Je ne m’en plains pas ; je vous en avertis seulement, parce que je voudrais bien qu’elle ne fût pas perdue. — Avant que de partir pour la campagne, je vous prie de me renvoyer les trois lettres que je vous ai écrites à Metz. Si enfin vous aviez reçu celle de Bordeaux, vous voudriez bien l’y joindre. Je n’ai point reçu vos dragées ; voilà pourquoi je ne vous en ai point remercié. Il n’y a que la haine qui convertisse le miel en poison, et je n’ai point de haine. En vérité, l’on me rend folle : je ne sais plus lequel me désole