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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/362

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ne sais laquelle m’anime dans ce moment) sont incroyables. Après avoir attendu le facteur avec ce besoin, cette agitation qui font de l’attente le plus grand tourment, j’en étais malade physiquement : ma toux et ma rage de tête m’en avaient avancée de cinq ou six heures. Eh bien ! après cet état violent, qui n’est susceptible ni de distraction ni d’adoucissement, le facteur est arrivé, j’ai eu des lettres. Il n’y en avait point de vous ; j’en ai reçu une violente commotion intérieure et extérieure, et puis je ne sais ce qui est arrivé, mais je me suis sentie calmée : il me semble que j’éprouve une sorte de douceur à vous trouver encore plus froid et plus indifférent que vous ne pouvez me trouver bizarre. En me prouvant que je ne suis rien pour vous, je crois qu’il me sera plus aisé de me détacher de vous. Il m’est tellement démontré que vous ne pouvez faire que le malheur de tous les instants de ma vie, que tout ce qui me donne la force de m’éloigner de vous, de m’en séparer, est réellement pour moi le plus grand soulagement que je puisse sentir. Me voilà à souhaiter que vous soyez retenu par goût, ou par force, dans le lieu où vous êtes : votre absence cesse d’être un mal pour moi ; c’est du repos. Adieu.



LETTRE CXLV

Lundi, trois heures après midi, 1775.

Mon ami, que vous êtes aimable, et que vous justifiez bien l’excès de mon égarement et de mon malheur ! Oui, je le crois, ce que j’ai souffert, ce que