Aller au contenu

Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’attends, rien n’aurait le pouvoir de m’empêcher, de me garantir de vous aimer, si je ne vous aimais pas. Il y a des choses qui me font croire à la fatalité : je devais donc vivre pour vous voir, et j’en devais mourir. Mais, mon ami, je vous ai aimé, je ne me plains plus. Laissez-moi donc subir ma destinée, et gardez-vous de mettre le comble à mes maux, en me faisant aimer la vie au moment où il faudra la quitter, où je sens qu’elle m’échappe. Hélas, mon ami ! par bonté, par pitié, laissez-moi croire que la mort me délivrera d’un fardeau qui m’accable ! laissez-moi arrêter, reposer ma pensée sur ce moment tant désiré, si attendu, et dont je me sens approcher avec une sorte de transport ! Mais aussi, lorsque je vous écoutais hier, que je vous voyais, je pensais avec attendrissement que bientôt je vous dirais adieu pour jamais. Je me tâtais, j’aurais voulu ne pas me croire si malade ; je regrettais de ne pouvoir plus espérer. Enfin, mon ami, ma tendresse pour vous remplissait mon âme, et ne me permettait plus de former un souhait qui eût pour objet de me séparer de vous. Ah ! sous cet affreux rapport, la mort sera un mal, un grand mal. Mon Dieu ! vous ne saurez jamais le déchirement, l’espèce de mort et d’angoisse où je viens de passer ces trois dernières semaines. Ce n’est pas la perte de mes forces, ma maigreur, l’excès de mon changement qui sont étranges. Ce qui est inouï, c’est que ma vie ait résisté à cette torture. Mais vous voilà ; je vous ai retrouvé plein de bonté, de sensibilité : vous avez calmé mon âme, vous avez mis du baume dans mon sang. Il m’était moins pénible de souffrir cette nuit ; je n’ai point dormi, j’ai eu la fièvre, j’ai toussé ; mais en vérité je n’ai pas été malheureuse : car j’étais occupé de vous d’une manière douce et sen-