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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/364

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sible. Je pensais que je vous écrirais, et je n’osais pas espérer recevoir de vos nouvelles. Mais cela ne me paraissait pas impossible. Jugez du sentiment de bonheur que j’ai eu lorsqu’en entrant dans ma chambre, l’on m’a dit : De la part de M. de G… Mon ami, ces mots m’ont fortifiée pour ma journée ; je ne crains plus la fièvre avec votre lettre : le remède a plus de pouvoir que le mal. — Seulement, je chasserai de ma pensée ce qui veut y revenir sans cesse. Il est arrivé samedi à cinq heures à Paris, et il a attendu jusqu’à dimanche une heure, pour savoir si j’étais morte, malade, ou au comble du malheur. Ah, mon ami ! vous avez donc oublié que je vous aimais, et vous ne saviez donc plus comment j’aime avec toutes les facultés de mon âme, de mon esprit, avec l’air que je respire. Enfin j’aime pour vivre, et je vis pour aimer.

Je meurs d’envie de savoir ce que vous aura dit M. de Saint-Germain. J’ai pensé de nouveau à sa lettre : elle est fort bien, mais fort bien ; et je ne doute pas que vous ne soyez content de la conduite qu’il aura avec vous. Si ce n’est pas le matin que je vous vois demain mardi, écrivez-moi un mot, car je ne doute pas que vous reveniez ce soir. Si vous ne venez pas le matin, et que vous ne puissiez pas me donner votre soirée, il faut que vous sachiez que, depuis quatre heures jusqu’à cinq et demie, je suis seule : ainsi voilà trois manières de me voir avec liberté. Prenez-en donc une, mon ami ; car j’ai besoin de vous voir. Bonjour. Vous voyez que je me dédommage. Eh ! bon Dieu ! j’ai tant souffert de me taire ! Mon ami, croyez-vous qu’il y ait ou qu’il y ait eu quelqu’un dans le monde plus vivement frappé de vos agréments, et plus profondément occupé de vous ? croyez-vous enfin qu’il y ait eu un degré de tendresse et de