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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/365

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passion par delà celui qui m’anime ? Les battements de mon cœur, les pulsations de mon pouls, ma respiration, tout cela n’est plus que l’effet de la passion : elle est plus marquée, plus prononcée que jamais : non pas qu’elle soit plus forte, mais c’est qu’elle va s’anéantir, semblable à la lumière qui revit avec force avant que de s’éteindre pour jamais. Adieu, mon ami, Je vous aime.



LETTRE CXLVI

Quatre heures, 1775.

Mon ami, je n’ai pas fait ce que vous vouliez, je vous en demande pardon : mais il est au-dessus de mes forces de vous adresser une lettre dans le lieu où vous êtes. Cependant je ne suis pas assez injuste pour souhaiter que vous n’y soyez pas, et même avec plaisir et intérêt. Je suis inconséquente, faible et malheureuse, voilà tout. Souffrez-moi telle que je suis, et moi je vous aimerai à la folie tel que vous êtes. Mon Dieu ! que vous êtes aimable de m’avoir écrit ce petit mot en partant ! il a ranimé un instant mon âme abattue. Ah, mon ami ! qu’il m’est difficile de vivre ! votre présence seule peut me faire supporter le sentiment de la perte que j’ai faite tout le reste m’avertit que mon malheur est sans ressource comme sans consolation ; tous mes amis, tous leurs soins me font sentir que rien ne peut désormais pénétrer jusqu’à mon cœur. C’était M. de Mora ; c’était mon sentiment pour lui qui animait tout pour moi ; hors vous et mon affection pour vous, tout s’est éteint avec lui. La nature