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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/37

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Plût au ciel que vous fussiez mon ami, ou que je ne vous eusse jamais connu ! Croyez-vous ? serez-vous mon ami ? Pensez à cela, une fois seulement ; est-ce trop ?



LETTRE II

Dimanche, 23 mai 1773.

Si j’étais jeune, jolie et bien aimable, je ne manquerais pas de trouver beaucoup d’art dans votre conduite avec moi ; mais comme je ne suis rien de tout cela, comme je suis le contraire de tout cela, j’y trouve une bonté et une honnêteté qui vous ont acquis à jamais des droits sur mon âme ; vous l’avez pénétrée de reconnaissance, d’estime, de sensibilité et de tous les sentiments qui mettent de l’intimité et de la confiance dans une liaison. Je ne dirai pas si bien que Montaigne sur l’amitié ; mais croyez-moi, nous la sentirons mieux. Si ce qu’il nous avait dit avait été dans son cœur, croyez-vous qu’il eût consenti à vivre après la perte d’un tel ami ! Mais ce n’est pas là ce dont il s’agit ; c’est de vous, c’est de la grâce, c’est de la délicatesse, c’est de l’à-propos de votre citation. Vous venez à mon secours : vous voulez que je n’aie pas tort avec moi-même ; vous voulez que votre souvenir ne soit pas un reproche douloureux pour mon cœur, et peut-être offensant pour mon amour-propre ; en un mot vous voulez que je jouisse en paix de l’amitié que vous m’offrez, et que vous me prouvez avec autant de douceur que d’agrément ; oui, je l’accepte : j’en fais mon bien ; elle me consolera ; et si