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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/378

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ensemble. Vous ne connaissez pas le plaisir de manger poussé jusqu’à la passion. Eh bien ! j’en suis là depuis douze ou quinze jours, et les médecins, qui sont des ignorants ou des barbares, prétendent que c’est un mauvais symptôme pour ma poitrine. Si je pouvais calmer ma toux, je me soucierais guère de leur pronostic. Mon ami, je n’ai vu que des gens d’esprit à ce dîner : ils ont été aussi maussades que des bêtes ; il n’y a pas jusqu’à l’ambassadeur qui n’ait donné dans le genre ennuyeux. Figurez-vous ce que c’est que de venir lire des vers italiens pendant une heure. Mais en tous cas, s’ils m’ont ennuyée, je le leur ai bien rendu en importunité, je n’ai pas cessé de tousser. Bonsoir, mon ami. Je me souviens que je vous aime, mais je ne le sens pas.

À propos, c’est tout de bon qu’il faut que je cherche un logement. Je sais de ce matin que je ne pourrais pas garder celui-ci, quand je le voudrais. Voyez donc à votre porte.



LETTRE CLIV

Cinq heures du matin, 1776.

Je ne saurais dormir : mes entrailles, ma tête, mon âme, tout cela m’éveille et me tourmente. Pour charmer mes maux, je veux vous parler. Vous voyez bien, mon ami, que je ne peux pas, que je ne peux plus aller dîner chez M. Boutin. Je vous ai mandé que je lui avais écrit pour m’excuser, et, en vérité, cela serait au-dessus de mes forces. Excepté vous, je ne saurais écouter, ni parler à personne. J’ai été si bouleversée, il me reste encore tant d’inquiétude,