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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/419

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elle aime sûrement son mari, c’est un si brave homme ! — Oui, dis-je, il est pauvre, il est sensible, il a des enfants… », et je soupirai en prononçant ce dernier mot… « Ce n’est pas tout, Lafleur, il faut que vous alliez chercher l’ami de Jacques, que vous le tiriez à part. — Oui, vraiment, dit Lafleur, il faut que le maître ne sache rien de tout cela. — Vous lui direz que ce monsieur chez qui il a été ce matin, a été si content de la manière dont il a demandé grâce pour son ami, qu’il lui envoie six francs pour boire et pour l’engager non seulement à défendre son ami, mais à ne jamais accuser ses camarades. — Oui, oui, Monsieur, votre commission va être faite. Jacques ne sera plus malheureux : son ami, sa femme, vous, moi, nous serons tous contents. J’embrasserai sa bonne femme, je verrai ses petits enfants ; je cours et je reviens… » Que je me sentis soulagé par le peu de bien que je venais de faire ! j’étais doucement ému par la bonté active de Lafleur… L’honnête créature, disais-je ! Pourquoi la Providence ne l’a-t-elle pas placée dans la classe des hommes qui peuvent secourir et soulager leurs semblables, et dont la plupart ont le cœur inaccessible aux malheureux ? En disant cela, je me trouvai dans l’antichambre de madame Geoffrin. Bon ! disais-je, j’en dînerai mieux, je serai de meilleure compagnie, mon pauvre Jacques va être content… Et j’entrai dans la chambre où il y avait dix ou douze personnes qui dînaient tous les mercredis chez madame Geoffrin.


CHAPITRE XVI

qui ne surprendra personne

Le dîner fut excellent. La maîtresse de la maison n’en faisait pas les honneurs ; mais elle s’occupait de ses amis. Depuis que j’étais en France, je n’avais point rencontré tant de bonté, de simplicité et d’aisance réunies. Tous les