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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/437

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IV

ÉLOGE D’ÉLIZA[1]
Par M. de Guibert.


Quelle nuit ! quelle solitude ! affreux emblème de mon cœur ! Demain ces ténèbres qui m’entourent se dissiperont, et la nuit qui enveloppe Éliza est éternelle ! demain l’univers se réveillera, Éliza seule ne se réveillera plus !

Âme sublime, où donc es-tu passée ? dans quelle région ? ah ! tu es retournée vers ta source, tu as repris ton vol vers ta patrie ! Tu étais une émanation du ciel, et le ciel t’a réclamée. Il t’avait laissée trop longtemps habiter parmi les hommes. Oui, sans l’ordre du ciel, Éliza ne pouvait devenir la proie de la mort. Elle était si active, si animée, si vivante ! Hélas ! depuis deux ans, c’était son âme qui trompait mes inquiétudes et qui assoupissait mes craintes. Je voyais tous les jours Éliza se décolorer et s’affaiblir. Mais jamais son esprit n’avait jeté tant d’éclat ; jamais son

  1. Ce pseudonyme d’Éliza donné à Mlle de Lespinasse par M. de Guibert est un souvenir de cette Éliza Draper, l’amie tant pleurée de Sterne, qui, lui-même, était l’auteur favori de Mlle de Lespinasse. Cet éloge a paru pour la première fois dans un recueil d’éloges par M. de Guibert, publié par sa veuve, sous ce titre : Éloges du maréchal de Catinat, du chancelier de L’Hôpital, suivis de l’éloge inédit de Claire-Françoise de Lespinasse ; Paris, d’Hautel, 1806. in-8o.