réunissait le mérite de la justesse et de la solidité. Elle n’avait jamais cultivé les sciences exactes ; mais elle étudiait la morale, elle aimait la saine métaphysique ; elle lisait souvent Montaigne. Elle connaissait Loke avant que Rousseau ne l’eût, sous des formes plus heureuses, fait passer dans notre langue. Elle faisait ses délices de Tacite et de Montesquieu. Un des auteurs vivants dont elle estimait le plus les ouvrages était l’abbé de Condillac. Tout ce qui était fort plaisait à son caractère, et tout ce qui était fin ou profond plaisait à son esprit.
Tant d’avantages naturels et acquis auraient justifié dans Éliza quelque mouvement d’orgueil, et elle n’en eut jamais. Elle qui sentait et jugeait si bien l’esprit des autres, semblait ignorer le sien, elle s’en méfiait même ; aussi n’écrivit-elle rien pour le public. Si quelquefois son âme eut besoin de s’épancher, ou pour elle-même, ou pour ses amis, elle prit grand soin que ce secret ne fût connu que d’eux, elle exigea même de leur amitié de lui rapporter ses lettres ou de les brûler. Ainsi divers petits ouvrages qu’elle avait composés, sont vraisemblablement perdus pour toujours ; tels qu’un grand nombre de Synonymes, trois chapitres dans le genre du Voyage sentimental, une Apologie de ses défauts, et particulièrement de la facilité qu’on lui reprochait à se prévenir et à s’enthousiasmer ; morceau charmant qu’elle m’avait adressé, et dont j’ai eu le scrupule de ne point garder de copie. Elle avait aussi commencé des mémoires de sa vie ou plutôt de sa passion pour Gonsalve ; car ils ne commençaient qu’à cette époque, comme si sa vie n’eût daté à ses yeux que du moment où elle l’avait connu. Enfin, ce qu’il faut regretter par-dessus tout, parce que cela eût formé la collection la plus immense, la plus variée, la plus précieuse, ce sont ses lettres. Elles avaient un caractère, une touche, un style qui n’avaient point de modèle, et qui je crois n’auront point d’imitateurs. Ce n’était ni le genre de madame de Sévigné, ni celui de madame de Maintenon. C’était le sien, et, à mon avis, il était bien au-dessus. Ses lettres étaient plus pleines, plus