Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/58

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ne devais rien attendre, ni désirer de votre amitié ! et la cause de tout cela, c’est que je ne recevais point de vos nouvelles. Dites-moi donc pourquoi on attend, pourquoi on exige de quelqu’un sur qui on ne compte pas. Mais vraiment, je le crois, vous me pardonnez mes inconséquences ; mais moi, je ne dois pas être si indulgente ; elles me touchent de plus près que vous. Je ne sais plus ce que je vous dois ; je ne sais plus ce que je vous donne ; je sais que votre absence me pèse, et je ne saurais me répondre que votre présence me fît du bien. Mais, mon Dieu ! quelle situation horrible que celle où le plaisir, où la consolation, où l’amitié, où tout enfin devient poison ! Que faire, dites-moi ? où retrouver le calme ? Je ne sais où je prends la force de résister à des impressions aussi profondes et aussi diverses. Oh ! combien de fois l’on meurt avant que de mourir ! Tout m’afflige et me nuit ; et l’on m’ôte la liberté de me délivrer du fardeau qui m’accable ! Au comble du malheur, on veut que je vive ; on me déchire également et par le désespoir et par l’attendrissement qu’on me cause. Eh, mon Dieu ! aimer, être aimé, n’est-ce donc pas un bien ! Je souffre tous les maux, et j’ai encore à me reprocher de troubler le repos, de faire le malheur de ce que j’aime ! Mon âme est épuisée par la douleur : ma machine est détruite, et cependant je vis, et il faut que je vive ; pourquoi le voulez-vous aussi ? Que vous importe ma vie ? quel prix voulez-vous y mettre ? que suis-je pour vous ? Votre âme est si occupée, votre vie si remplie et si agitée ! comment vous reste-t-il le temps de plaindre mes maux, et comment avez-vous donc assez de sensibilité pour répondre à mon amitié ? Oui, vous êtes trop aimable, vous avez le don de l’intérêt, et il me semble que je