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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/59

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ne devais point vous en inspirer. Mes lettres vous sont nécessaires, cela peut-il être vrai ? oui, puisque vous le dites ; mais pourquoi avez-vous donc été si longtemps à m’écrire ? pourquoi ne pas m’adresser directement vos lettres ? Strasbourg les a retardées de deux ou trois jours. Ce n’est rien pour quelqu’un qui emploie huit mois pour satisfaire sa curiosité ; mais c’est beaucoup trop pour quelqu’un qui ne connaît plus qu’un genre d’intérêt dans la vie. Je suis ravie (et c’est par là que je voulais commencer) que vous ayez été content du roi de Prusse. Ce que vous me dites sur cette vapeur magique qui l’environnait, est si charmant, si noble, si juste, que je n’ai jamais pu m’en taire : je l’ai lu à tous ceux qui méritaient de l’entendre. Madame Geoffrin a voulu que je lui en donnasse une copie. Je l’ai envoyé plus loin, et cela sera bien senti. Vous n’allez donc pas en Russie ; cela me fait un plaisir sensible. Oui, laissez-moi encore vous dire combien je trouve aimable votre amitié. Vous répondez à tout, vous causez, vous êtes encore près, lorsque vous êtes à mille lieues. Mais d’où vient donc que cette femme ne vous aime pas à la folie, comme vous voudriez l’être, comme vous méritez de l’être ? À quoi donc peut-elle employer son âme et sa vie ? Ah ! oui, elle n’a ni goût, ni sensibilité, j’en suis sûre. Elle devrait vous aimer, ne fût-ce que par vanité ; mais de quoi vais-je me mêler ? vous êtes content, ou si vous ne l’êtes pas, vous aimez le mal qu’elle vous fait : pourquoi donc vous plaindrais-je ? Mais cette autre malheureuse personne ! c’est elle qui m’intéresse ; lui avez-vous écrit ? son malheur est-il toujours aussi profond ? Je dois vous dire que l’autre jour, chez la comtesse de Boufflers, on parla beaucoup de vous et du Connétable ; la jeune de Bouf-