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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/60

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flers me dit qu’elle vous croyait fort amoureux ; que cela lui avait fait regarder avec attention madame de ***. Il y avait là un homme qui assura que vous ne l’étiez plus, que vous l’aviez aimée, que cela était usé ; et qu’il croyait que vous ne seriez jamais longtemps heureux ou malheureux par la même femme ; que l’activité de votre âme ne lui permettait pas de se fixer longtemps au même objet ; et de là une dissertation spirituelle sur des choses sensibles et sur la passion. La comtesse de Boufflers finit par dire qu’elle ne savait pas de qui vous étiez amoureux, mais que ce n’était plus de madame de *** ; et qu’elle jugeait, par les billets qu’elle avait reçus de vous à votre départ, que vous étiez fortement attaché, et que votre éloignement déchirait votre âme ; et puis cette réflexion si naturelle : et cependant pourquoi aller en Russie ? Mais peut-être c’est pour se guérir, peut-être est-ce pour étouffer le sentiment de la personne qu’il aime. Enfin, après bien des conjectures sans intérêt, on vint à me demander si je vous aimais, si je vous connaissais beaucoup : car je n’avais pas dit un mot. Oui, je l’aime beaucoup, et quand on le connaît un peu, il n’y a que cette manière de l’aimer ! — Eh bien, vous savez donc ses liaisons ? quel est l’objet de sa passion ? — Eh ! non, en vérité, je n’en sais rien du tout. Je sais qu’il est à Berlin, qu’il se porte bien, que le roi l’a reçu parfaitement, qu’il verra ses troupes, qu’il ira en Silésie. Voilà ce que je sais : voilà ce qui m’intéresse. Et l’on parla de l’Opéra, de madame la dauphine, et de mille choses intéressantes. Je vous conte tout cela pour vous dire que je n’aime pas que tout le monde connaisse vos affections, vos dégoûts, vos inconstances. Je ne voudrais entendre parler que de votre mérite, de vos talents et de vos vertus : ai-je