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Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/72

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LETTRE XII

Dimanche au soir, 1er août 1773.

Vous êtes trop aimable ; vous me surprenez en bien : il est ravissant d’avoir un plaisir sur lequel on ne comptait point, et je suis charmée de vous devoir un mouvement qui fait du bien à mon âme. J’avais reçu hier une lettre de vous, du 18 : j’étais bien contente de voir que les dates se rapprochaient, que vous n’y mettiez plus quinze jours d’intervalle, et que je ne devais pas ce changement au regret que je vous avais marqué : c’était à vous, c’était à votre amitié ; j’aime bien mieux ce qu’elle me donne que ce que j’en obtiendrais. Je voulais vous remercier, vous dire faiblement ce que je sens bien vivement, et j’ai été plus heureuse encore : j’ai reçu une autre lettre de vous aujourd’hui, du 18. Mon premier mouvement (je ne sais pourquoi) a été la crainte : l’habitude du malheur gâte tout ; mais j’ai été bientôt rassurée. Je vous ai trouvé bon, sensible, près de mon âme. Il me semblait que je devais m’applaudir d’avoir souffert, puisque ma douleur vous avait intéressé. Oh ! de combien de regrets vous remplissez ma vie ! je jouirais de votre amitié ; elle ferait ma consolation, elle ferait mon plaisir, et vous êtes à mille lieues ? je ne saurais me défendre de la crainte que tant d’objets nouveaux, qu’une vie aussi occupée et aussi dissipée que celle que vous êtes forcé de mener, ne détruisent ou du moins n’affaiblissent une liaison et un intérêt auxquels il a manqué peut-être le degré de chaleur qui en fait un besoin du cœur, ou le temps qui en fait une habitude. J’avoue que je mets