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JE SAIS TOUT

deux heures, le temps immuablement beau depuis son arrivée s’assombrit, et la grisaille du ciel, la pluie qui tambourinait les vitres et coulait en petits ruisseaux, achevèrent de le décider. Cependant, une éclaircie s’étant produite vers le soir, il pensa qu’un départ précipité aurait l’air d’une fuite, qu’il ne pouvait pas s’en aller sans faire une visite de politesse à M. Chanteleu, et le lendemain, car rien ne le pressait en somme, il se rendit à la Roche-au-Roi.

M. Chanteleu et sa fille étaient sortis. Il tira une carte de sa poche ; mais, prêt à la remettre au jardinier, il se ravisa :

— Savez-vous si monsieur rentrera bientôt ?

— Monsieur et mademoiselle sont allés à Nantes. Peut-être arriveront-ils par le train de cinq heures, peut-être ne rentreront-ils que demain…

Il balança sa carte entre ses doigts, puis la remit dans son portefeuille et dit :

— Bon, je reviendrai.

Mais, au lieu de se diriger vers la maison, il prit le chemin de la gare. Comme il y arrivait, M. Chanteleu et sa fille descendaient du train.

— Un revenant ! s’écria M. Chanteleu en l’apercevant.

— J’espère que les revenants ne vous font pas peur, répliqua gaîment Philippe.

— Peur, non, mais ils surprennent toujours un peu, dit Anne-Marie.

Ce ton d’aimable reproche le ravit. Il craignait, encore, que M. Fortier eût tenu sur lui des propos défavorables. Pour quelle raison ? Il n’aurait su le dire, mais il sentait de sa part une hostilité que cachait mal une correction, parfaite d’ailleurs.

Mlle Chanteleu leva ses doigts chargés de menus paquets et sourit :

— Je ne vous tends pas la main, vous voyez…

Il lui proposa de la débarrasser.

— J’accepterai, si la voiture n’est pas là.