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Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/36

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JE SAIS TOUT

ni sortir sans qu’il le vît, et fit un signe au gérant qui raccompagnait.

Le silence, d’abord vague, s’alourdit. On n’entendait plus que le bruit des couverts sur les assiettes et le frôlement du pas des serveurs. Tous les yeux étaient fixés sur cet inconnu immobile.

— Le spectre de Banco ! glissa un dîneur à l’oreille de sa voisine.

Un éclat de rire accueillit la réflexion.

L’inconnu n’y prêta point d’attention, et continua de promener ses regards sur la salle. Enfin, il dit au gérant :

— Tout le personnel du restaurant est bien ici ?

Le gérant inclina affirmativement la tête.

— Vous êtes certain que tous les autres employés : femmes de chambre, valets de chambre, garçons et sommeliers d’étage ne peuvent quitter la pièce où je les ai réunis ?

— Certain.

— Alors, faites passer les serveurs dans le salon voisin.

Le gérant donna un ordre, les garçons sortirent. À mesure qu’ils passaient devant lui, l’inconnu les dévisageait un à un. Quand le dernier eut franchi la porte, il s’avança :

— Mesdames, messieurs, j’ai à remplir une formalité un peu délicate…

Il tira de sa poche une écharpe tricolore ;

— Je suis le commissaire de police.

— Quand je vous avais dit que c’était la statue du Commandeur ! dit un voyageur.

Mais la plaisanterie demeura sans écho. On échangeait des regards interrogateurs : Philippe chiffonnait sa serviette sur la table ; Anne-Marie, très pâle, n’avait pas bougé. Le corps rejeté en arrière, la tête droite, on eût dit, tant son immobilité était grande, qu’elle cessait de respirer. Philippe chercha sa main et la pressa doucement dans la sienne. Une contraction douloureuse détendit sa bouche ; ses ongles creusèrent de petits sillons sur la nappe ; elle parut chanceler, ferma les yeux, puis les rouvrit, et, dès lors, ne cessa plus de fixer une table vide à quelques pas de là. Une dame entra. Le commissaire attendit qu’elle se fût assise, et reprit :

— Un vol très important a été commis aujourd’hui à l’hôtel, entre trois heures et six heures presque sûrement. Madame — il désignait la nouvelle arrivante — est allée au patinage, laissant dans son coffre un collier de perles : en rentrant, elle a trouvé le coffret vide. Dans ces conditions, il m’a paru indispensable de visiter complètement l’hôtel, et je vous prie de vouloir bien m’accompagner les uns et les autres dans vos appartements.

— Ah ça, s’écria un monsieur âgé en se levant, nous prend-on pour des voleurs ?

— C’est une indignité ! protesta un autre.

La dame au collier voulut prendre la parole, tenter d’expliquer, d’excuser ; le commissaire l’interrompit :

— Permettez-moi d’être seul juge, et veuillez, messieurs, ne pas vous formaliser de cette mesure. Le voleur est ici, je veux dire dans l’hôtel. Il n’a pas eu le temps de partir, tout au plus a-t-il eu celui de cacher son larcin. Comme je dois opérer des recherches dans les chambres du personnel, vous trouverez juste, je pense, que j’agisse de même en ce qui vous concerne. Dès qu’il s’agit de pareils soupçons, la susceptibilité des domestiques est aussi respectable que celle des maîtres. Cependant, comme tout ceci est fort délicat, afin de ne froisser personne, je procéderai à la visite de vos appartements dans l’ordre des numéros, en commençant par le plus faible. Le gérant m’en a remis la liste. Je prie les personnes qui occupent le 24 de vouloir bien me suivre…