Aller au contenu

Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE DOUBLE SECRET
443

Un couple se leva. La jeune femme riait d’un rire saccadé ; son mari alluma une cigarette, épousseta d’une pichenette le revers de son habit et jeta au passage, sur un ton de plaisanterie qui sonnait faux :

— La première charrette !…

Des groupes s’étaient formés autour de la dame au collier. C’était une des plus anciennes pensionnaires du Palace. On la savait fort riche ; et chacun connaissait ce rang de perles pour l’avoir admiré à son cou.

Congestionnée, agitée, frémissante, elle tentait d’expliquer le vol. Elle n’avait porté ce collier que deux fois. Puis, craignant de le briser, de le perdre sur les pistes de luge, elle avait renoncé à s’en parer. Huit jours plus tôt, elle l’avait donc placé dans son coffret. Aujourd’hui, en rentrant, comme si elle avait eu le pressentiment de quelque chose, elle avait ouvert le coffret : le collier n’y était plus.

On s’informait :

— Votre chambre était-elle en désordre ? Avez-vous remarqué une trace d’effraction, un objet déplacé ?

— Rien ; un ordre parfait ; les moindres bibelots étaient à leur place ; une cigarette oubliée avait achevé de se consumer sur le bord du cendrier, et la cendre était intacte : or, le moindre choc, une porte fermée vivement, un courant d’air, un frôlement l’aurait réduite en poussière. Enfin, et ceci est plus troublant que tout, une barrette en diamants que j’avais laissée par mégarde sur ma coiffeuse y était encore. Il est inadmissible que le voleur ne l’ait pas vue ; elle crevait les yeux, au milieu de la garniture en écaille. Si le voleur ne l’a pas prise, c’est qu’il ne voulait pas la prendre… Peut-être parce que les pierres sont d’un écoulement plus difficile que les perles ; peut-être parce que la valeur ne lui paraissait pas assez intéressante ? À la vérité, il savait ce qu’il venait chercher, et ne voulait pas autre chose.

— C’est affreux, murmura Anne-Marie.

— C’est un malheur épouvantable, je perds la tête… Une fortune, une véritable fortune…

— On le retrouvera, dit quelqu’un.

La dame hocha désespérément la tête :

— Où ? Quand ?… Comment ? On va bouleverser cet hôtel, tourner et retourner les meubles, les colis… Et puis ! Quelle place cela tient-il, un collier ?… Le creux de la main ! Cela se cache n’importe où, sous le capitonnage d’un fauteuil, entre deux plis de rideau, sous une latte de plancher… dans la poche !

Philippe, qui en écoutant ce récit, conservait les mains dans ses poches, les retira enfin et les frotta l’une contre l’autre. Anne-Marie, tournée vers lui, prit une respiration profonde.

Quelques minutes s’écoulèrent. Le couple qui s’était éloigné reparut.

— Le premier de ces messieurs ! jeta le mari.

Débarrassé d’une corvée désagréable, il parlait d’une voix joyeuse : deux autres voyageurs qui avaient le numéro vingt-huit sortirent. On se pressait autour des perquisitionnés :

— Comment cela se passe-t-il ? Faut-il ouvrir les malles ? Déplier le linge ?… Le ton détaché cachait mal une anxiété énervante.

Il rassurait les curieux, goûtant un malin plaisir à les intriguer de temps en temps.

— On soulève les tapis, on inventorie les vêtements, on secoue une robe, on ouvre une malle au hasard. En un mot, c’est comme à la douane : au petit bonheur ! Les gens de police comptent toujours sur la chance, leur plus sûr auxiliaire… Le mieux est de donner les clés, d’obéir et de laisser faire…

La dame au collier reprenait son récit pour la dixième fois, avec les mêmes