Aller au contenu

Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
452
JE SAIS TOUT

— Chut… fit-elle.

— Non, non… Tu sais donc ?

— Tout.

— Qui te l’a dit ?

— M. Fortier.

— Le misérable ! Et quand t’a-t-il dit cela ?

— La veille du jour où tu m’as demandée en mariage… Mais ne pleure plus. Qu’est-ce que cela peut te faire ? Tu vois que je t’aimais assez déjà pour n’en pas tenir compte, puisque je t’ai épousé. Et qu’était mon amour auprès de ce qu’il est devenu ?

Philippe demeura un instant prostré, puis se redressa :

— Ah, la canaille ! Il le paiera cher.

— Oublie ce que je t’ai confié, comme je l’oublierai moi-même. Les cinq années que tu as passées à l’étranger, seul, sans amis, sans nouvelles, et les heures que nous venons de vivre nous séparent de tout ce qui fut le passé. Jure-moi ?

— Je te le jure, prononça lentement Philippe.

Apaisés, ils parlaient maintenant d’une voix douce, ramenés malgré eux au souvenir de cette affreuse nuit, intrigués par son mystère, presque amusés par leurs soupçons réciproques.

— Car, enfin, tu as cru ! répétait Philippe.

Elle tentait de se défendre.

— J’ai cru ?… Évidemment, j’ai cru… mais j’ai eu peur surtout et la peur est si mauvaise conseillère !… Et toi-même…

— Moi, protesta Philippe, quelle folie !

Elle chercha sa pensée jusqu’au fond de ses yeux :

— Alors, pourquoi voulais-tu que je parte ? Pourquoi me pressais-tu de fuir ?

Il ouvrit les lèvres, et puis se tut. Un mot, et il allait lever le voile, révéler à sa femme un secret qu’elle devait ignorer toujours. Alors, haussant les épaules, il répondit :

— Est-ce que je sais !… Ta peur m’avait fait peur… J’ai perdu la tête.

XI

— Une lettre chargée pour monsieur Le Houdier.

— Donnez.

Philippe ouvrit le paquet, en tira une liasse de billets et, les étalant sur la table, déplora :

— Quel malheur !

Anne-Marie souriait ; lui, avait honte de cette grosse somme si sottement gâchée. Jamais, même : aux pires moments de sa jeunesse, le jeu ne lui était apparu à ce point stupide et laid. Il tournait les billets entre ses doigts, les palpait, les replaçait et répétait en secouant la tête :

— Est-ce bête, est-ce bête, mon Dieu !

— Habille-toi et dépêche-toi de les donner, conseilla Anne-Marie.

Tout en passant ses vêtements, il ressassait sa colère :

— Crois-tu qu’on aurait pu faire un beau voyage avec ça !… L’aile de la maison n’aurait pas coûté plus cher à reconstruire… Dire que j’avais une si grande envie de te donner un beau saphir, et que, par raison, je ne l’ai pas acheté !… J’en pleurerais !

— Pas moi, dit-elle. Quand on a supporté ce que nous venons de supporter, rien n’a plus d’importance !