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LE DOUBLE SECRET
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dois. Excusez-moi d’avoir tardé à vous le remettre, mais comme je vous l’expliquais…

— Inutile, inutile. Je regrette de vous avoir causé tout ce souci…

Il avait reçu les billets et s’apprêtait à les glisser dans sa poche :

— Comptez, je vous prie, dit Philippe.

— Oh, monsieur ! murmura M. Reval.

— Comme vous voudrez, répondit Philippe.

Et il réfléchit :

— Est-ce bizarre ! Cet homme, dont le ton et l’allure m’étaient odieux quand je lui devais quelque chose, me semble courtois et presque sympathique maintenant que nous sommes quittes !

La dame au collier se mordit les lèvres. Était-il possible que chacun ici parlât librement de ses affaires quand elle venait de subir un tel dommage ! Elle reprit son face à main et, voulant paraître enjouée, dit d’un ton perfide, ne s’adressant à personne et s’adressant à tout le monde :

— Cet hôtel devient un véritable tripot ; on y perd de petites fortunes !

Ces paroles étaient à deux sens ; elle s’apprêtait à les préciser, quand un monsieur âgé entra, tout essoufflé :

— Ah ! s’écria-t-elle en courant au devant de lui, te voilà, enfin, mon ami !

Il lui tendit les joues, ses mains se trouvant embarrassées par des sacoches de voyage et une couverture.

— Je devrais être là depuis une heure, mais les traîneaux patinent sur la neige fondue et les voitures enfoncent. Alors, j’ai dû faire une partie de la route à pied. Tu étais inquiète, je parie ?…

— Non, dit-elle.

Cette sincérité le surprit et l’offusqua.

— Je le craignais ; mais, puisqu’il n’en est rien…

Et, se tournant vers Philippe, il lui serra la main et dit avec un petit sourire désabusé :

— Voyez-vous, cher monsieur, voilà où on en arrive après vingt ans de ménage ! On ne se tourmente même plus.

— Il s’agit bien de se mettre martel en tête pour des vétilles quand on a les tourments que j’ai, s’écria la dame.

Le gros homme la considéra, stupéfait :

— Qu’est-ce que tu me racontes ?… Mais, c’est vrai, tu as l’air toute bouleversée… Que s’est-il passé ?… Parle… Parle vite.

— Hélas mon ami… Il s’est passé… il s’est passé… qu’on m’a volé mon collier de perles !

Et elle éclata en sanglots.

— Ton ?… Ton ?… balbutia le mari, rouge soudain, au point qu’on crut qu’il allait tomber d’une congestion.

Mais, se débarrassant d’un geste de ses colis, de son pardessus, de son chapeau, il s’écria :

— Mais c’est moi qui l’ai, ton collier ! C’est moi ! Sachant que tu ne le mettais que rarement ici, je l’avais emporté à Paris pour te faire la surprise d’y ajouter deux perles ! Le voilà !

— Misérable s’exclama la dame en se ruant sur l’écrin.

Et, transportée de joie, elle hoquetait, avec des rires mouillés de larmes, des trépignements rageurs et triomphants :

— Le voilà !… C’est bien lui ! Tu ne pouvais pas me dire ? Faut-il que tu sois idiot ! Et moi qui allais croire… accuser…

— Personne n’a été inquiété, au moins ? demanda le mari en s’épongeant le front.