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Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/7

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LE DOUBLE SECRET
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tâcherai même de reconstituer tout ou partie du patrimoine que tu as entamé : tu ne me devras pour cela nul remerciement ; je n’aurai plus autre chose à faire. Maintenant, il est onze heures du soir ; ton train part demain matin à neuf heures ; boucle tes malles et dors bien.

Philippe regarda venir le jour, le front appuyé à la vitre. Quand le soleil parut au-dessus des champs, il jeta quelques vêtements et du linge dans une valise. Le matin tendait un voile de brouillard au ras des prés. Il sentit la douceur qu’il y aurait eu à vivre ici, d’une vie simple, entouré d’un bonheur facile, et qu’il avait tristement gâché son avenir. On frappa à sa porte ; Germain portait son petit déjeuner sur un plateau.

— Alors, Monsieur nous quitte ? murmura le vieux serviteur.

— Oui, mon bon Germain, dit-il en s’efforçant de sourire.

Puis il corrigea ce que sa réponse avait de trop mélancolique.

— Mais je reviendrai !

Germain allait et venait dans la chambre, rangeant les paquets, s’inquiétant de menus détails :

— Monsieur n’oublie rien ? Monsieur a bien tout ce qu’il lui faut ? Monsieur ne prend pas son habit ?

La question lui parut à la fois lamentable et plaisante et il hocha négativement la tête, car, en cette minute, sa voix eût peut-être manqué de fermeté. Germain parlait toujours :

— Monsieur ne mange pas ce bon beurre qu’on vient de nous apporter de la ferme ? Monsieur n’en mangera pas de meilleur d’ici longtemps… Monsieur a du regret de s’en aller ? Mais quoi, si Monsieur s’ennuie, il n’aura qu’à revenir… Décidément, Monsieur n’a pas faim… Que Monsieur ne se force pas… Philippe avala son café, s’essuya les lèvres et repoussa sa tasse :

— Emportez cela et dites à mon père que je descends dans quelques minutes.

Tandis qu’on chargeait sa malle sur le petit omnibus, il contemplait la maison, le jardin, les massifs fleuris, les grands arbres et le potager d’où montait une odeur fraîche de terre humide. Des oiseaux pépiaient cachés sous les feuilles ; d’autres, hauts dans le ciel, passaient en flèche avec des appels aigus. Un instant, son regard s’immobilisa. Il s’était approché de la voiture et flattait le cou de la jument :

— La nouvelle que notre maître a achetée, expliqua l’homme qui la tenait en main. Elle semble comme ça un peu lourde, mais moi je dis que si Monsieur veut l’atteler à sa charrette anglaise, Monsieur sera content.

— Oui, soupira Philippe, les yeux brouillés.

— Allons, dit M. Le Houdier en tirant sa montre, c’est l’heure…

Philippe retira son chapeau, son père lui tendit la main.