Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/130

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avec beaucoup d’aisance et de politesse, m’assura que le plaisir d’avoir fait connaissance avec moi compensait amplement un retard dans son voyage, et elle m’invita avec instance à m’arrêter quelque temps au château de Lindenberg. Comme elle disait cela, les jeunes gens échangèrent un malicieux sourire, qui signifiait qu’elle serait heureuse si elle arrivait elle-même jusqu’à ce château. Ce mouvement ne m’échappa point ; mais je cachai l’émotion qu’il excita dans mon sein. Je continuai de causer avec la dame ; mais mes paroles étaient si souvent incohérentes, que, comme elle me l’a dit depuis, elle commença à craindre que je ne fusse pas dans mon bon sens. Le fait est que, tandis que ma conversation traitait d’un objet, mes pensées étaient entièrement occupées d’un autre. Je calculais les moyens de quitter la cabane, d’arriver jusqu’à la grange, et d’informer les domestiques des desseins de notre hôte. Je fus bientôt convaincu de l’impossibilité d’une telle tentative. Jacques et Robert épiaient chacun de mes gestes d’un œil attentif, et je fus obligé de renoncer à mon idée. Il ne me restait plus qu’une espérance : c’était que Claude ne trouvât pas les bandits ; en ce cas, d’après ce que j’avais entendu, on devait nous laisser partir sains et saufs.

« Je frissonnai malgré moi quand Baptiste rentra dans la salle. Il fit beaucoup d’excuses de son absence, mais « il avait été retenu par des affaires impossibles à remettre. » Puis il demanda la permission que sa famille soupât à la même table que nous ; liberté que, sans cela, le respect lui interdirait de prendre. Oh ! comme dans mon cœur je maudis l’hypocrite ! quelle horreur m’inspirait la présence de cet homme prêt à me priver d’une existence qui m’était alors infiniment chère ! j’avais toutes les raisons possibles de tenir à la vie : jeunesse, richesse, rang, éducation, et