Page:Lewis - Le Moine, Tome 1, trad Wailly, 1840.djvu/131

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devant moi l’avenir le plus beau ; je voyais cet avenir sur le point de se clore de la manière la plus affreuse : et pourtant j’étais forcé de dissimuler, et de recevoir avec un semblant de reconnaissance les fausses civilités de celui qui tenait le poignard levé sur mon sein.

« La permission que notre hôte demandait fut accordée sans peine. Nous nous mîmes à table ; la baronne et moi occupions un des côtés ; les fils étaient en face de nous, le dos à la porte. Baptiste prit place à côté de la baronne au haut bout, et la chaise à côté de la sienne fut laissée pour sa femme. Elle entra bientôt, et posa devant nous un simple, mais bon repas de paysan. Notre homme crut devoir s’excuser de cette maigre chère : « il n’avait pas été prévenu de notre arrivée ; il ne pouvait nous offrir que le souper destiné à sa famille. »

« Mais, » ajouta-t-il, « si quelque événement retenait mes nobles hôtes plus longtemps qu’ils ne comptent rester en ce moment, j’espère alors pouvoir les mieux traiter. »

« Le scélérat ! je savais l’événement auquel il faisait allusion. Je frémissais à l’idée du traitement qu’il nous avertissait d’attendre.

« Ma compagne de danger semblait tout à fait consolée de ce retard. Elle riait, et entretenait la famille avec une gaieté infinie. Je tâchai, mais en vain, de suivre son exemple. Mon enjouement sentait la contrainte, et les efforts que je faisais n’échappèrent pas à l’attention de Baptiste.

« Allons, allons, monsieur, égayez-vous ! » dit-il ; « vous ne paraissez pas tout à fait remis de votre fatigue. Pour remonter vos esprits, que dites-vous d’un verre d’un excellent vieux vin qui m’a été laissé par mon père ? Dieu garde son aine, il est dans un meilleur monde ! je sers rarement de ce vin ; mais comme je n’ai pas tous les