Page:Lichtenberger - La Philosophie de Nietzsche.djvu/156

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nécessairement au néant, elle peut être la condition préalable d’une vie nouvelle, d’une santé supérieure. Sans doute il n’est pas possible de revenir en arrière, de ramener l’humanité à ce qu’elle était aux époques antérieures : « il faut aller toujours en avant, je veux dire : aller pas à pas toujours plus loin dans la décadence[1] ». Mais de même qu’à l’automne les feuilles jaunissent et tombent pour reverdir au printemps, de même il est possible que la décadence actuelle soit le prélude d’une régénération, que l’humanité donne naissance en expirant à une forme dévie supérieure. À ce point de vue il est peut-être permis, selon Nietzsche, de considérer les mots de « décadence », de « décomposition », de « corruption ». comme des termes injustement méprisants pour désigner l’automne d’une civilisation. L’humanité grosse d’un monde nouveau souffre des douleurs de l’enfantement. C’est pourquoi aussi Zarathustra ne prétend apporter aucun soulagement à la misère des « hommes supérieurs » ; il sait en effet que l’homme doit souffrir toujours davantage pour escalader des cimes plus élevées. La douleur intime des hommes supérieurs, leur dégoût de la multitude et d’eux-mêmes est nécessaire pour les stimuler, les pousser plus loin et plus haut. S’ils sont eux-mêmes des exemplaires d’humanité défectueux, qu’importe : plus une chose est d’essence précieuse, plus elle est rare, et plus il faut aussi de déchets pour obtenir un exemplaire de tout point réussi. L’homme supérieur est comme un vase où se prépare l’avenir de l’humanité ; en lui fermentent, bouillonnent, travaillent obscurément tous les germes qui s’épanouiront un jour à la lumière du soleil ; et plus d’un de ces vases précieux se fêle ou se brise… Mais qu’importe ! Si tel individu est mal venu, l’humanité est-elle pour cela mal venue ? Et si l’humanité elle-même est mal venue,

  1. W. VIII. 155.