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par ce gracieux badinage : si le monde est mauvais, la pensée qui le pense est mauvaise aussi, donc le pessimiste est un mauvais penseur — donc le monde est bon ! Pour Nietzsche, Strauss est donc le type de la médiocrité prétentieuse qui affirme son droit supérieur à l’existence : c’est un timide de la pensée qui s’arrête toujours à moitié chemin et n’ose pas aller jusqu’au bout de ses idées, c’est un optimiste qui ferme lâchement les yeux sur les souffrances nécessaires de l’humanité : c’est un philistin qui proclame que le devoir pour tous est de vivre en philistin, et qui, au lieu de favoriser le développement des individualités géniales, leur conteste le droit de vivre sitôt qu’elles s’élèvent au-dessus de la commune médiocrité.

Dans la seconde des Inactuelles, Nietzsche s’attaque non plus à un homme, ou à une classe d’hommes, mais à un abus dangereux, selon lui, de la culture moderne, à l’abus des études historiques. L’histoire est un facteur bienfaisant de toute civilisation tant qu’elle reste au service de la vie, tant qu’elle enseigne ou aide à mieux vivre. L’histoire monumentale met l’homme d’action en présence des œuvres immortelles du passé et le stimule dans son activité créatrice en l’excitant à se rendre digne des grands hommes du passé, à continuer leur glorieuse tradition, à vivre non pour la vulgaire et médiocre jouissance du présent, mais pour porter plus loin et plus haut l’idéal de l’humanité. L’histoire traditionnelle qui enseigne le respect et l’amour des choses mortes et lointaines est un inestimable bienfait pour les hommes et les peuples peu favorisés par les circonstances ou qui vivent dans un milieu inclément : elle embellit, pour eux, le présent « à l’aide du passé et répand sur leur existence modeste ou pénible, obscure ou dangereuse, un parfum de douce et consolante poésie. L’histoire critique, enfin, qui cite le passé devant le tribunal de la raison, le scrute minutieu-