Page:Lichtenberger - Novalis, 1912.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
L’ŒUVRE POÉTIQUE DE NOVALIS

l’art de présenter et de décrire les choses, par la virtuosité avec laquelle l’auteur fait alterner le récit et les conversations, la peinture des caractères, les réflexions et l’intrigue, par l’ironie romantique qui enveloppe le tout, par la beauté unique de « cette merveilleuse ordonnance romantique qui ne tient nul compte du rang ni de la valeur des objets, pour qui il n’y a ni premier ni dernier, rien de grand ni de petit ». Novalis salue en Wilhelm Meister une œuvre véritablement classique, « le roman en soi, sans épithète. » Gœthe est à ses yeux, « le Vicaire de la Poésie sur terre. » Il peut, sans doute, et même il doit être dépassé, mais de la façon seulement que les Anciens peuvent être surpassés, par le contenu et la force, par la diversité et la profondeur : en tant qu’artiste, en revanche, il est unique et exemplaire.

Mais Novalis ne s’en tient pas à ce jugement. À mesure qu’il étudie davantage le roman de Gœthe il est plus frappé par une autre tendance qui ne lui était point apparue d’abord de manière choquante mais qui peu à peu s’impose à son esprit avec une croissante insistance et lui inspire une aversion toujours plus décidée. Wilhelm Meister ne nous décrit, en effet, pas seulement l’éducation esthétique de l’idéaliste. On peut dire aussi qu’il nous montre la conversion d’un idéaliste anti-rationaliste à un réalisme rationaliste partiel. C’est même cet aspect de