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L’ŒUVRE POÉTIQUE DE NOVALIS

ci. La barrière qui, dans le plan de la vie ordinaire, sépare la fiction de la réalité, s’abaisse ainsi progressivement jusqu’à disparaître tout à fait. Si bien qu’à la fin le réel et le fictif se trouvent indiscernablement mêlés en une synthèse parfaite. C’est là ce qu’indique Novalis dans le prologue en vers qu’il a placé en tête de la seconde partie du roman : « Le monde nouveau surgit, obscurcissant le plus brillant soleil. Parmi les ruines moussues on voit poindre, radieux, un avenir étonnant et merveilleux : ce qui tantôt était banal et quotidien, nous paraît maintenant étrange et prodigieux. Le royaume de l’amour s’est ouvert, la Fable s’est mise à tisser… Le monde devient rêve et le rêve se fait monde ».

Voyons de plus près comment s’accomplit cette transmutation.

L’action de la seconde partie, intitulée par Novalis l’Accomplissement, s’ouvre au lendemain de la catastrophe soudaine qui brise d’un coup le bonheur terrestre de Henri d’Ofterdingen. Comme le lui avait annoncé un rêve prophétique, Mathilde vient de se noyer dans les eaux d’un fleuve impétueux. Plongé dès lors dans un morne désespoir, il s’enfuit à travers le monde, sous le vêtement d’un pèlerin, pour cacher dans la solitude le chagrin atroce, l’angoisse lancinante qui l’étreint. Mais cette douleur même est féconde. L’amour seul ne