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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

gination du poète navré, Sophie se dessine maintenant sous une forme nouvelle. Il ne voit plus en elle l’enfant naïve dont le cœur va s’ouvrir à l’amour. Elle lui apparaît sur son lit de souffrances, comme la vierge douce et bonne qui se détache peu à peu de la terre, comme l’ange de lumière et de pureté qui s’apprête à déployer ses ailes pour regagner sa patrie céleste. Et sa passion, maintenant, se rallume de plus belle. Elle se serait peut-être éteinte s’il s’était trouvé en face de la réalité prosaïque et terre à terre, s’il avait dû devenir le mari d’une petite dinde bien portante et le gendre d’un hobereau égrillard et inculte. Il se complaît au contraire en toute sincérité dans ce rôle d’amant platonique d’une fiancée qu’il dispute à la mort. Il s’attache à cet amour en raison même de son immatérialité. Il chérit d’autant plus tendrement la pauvre petite Sophie, qu’il pressent obscurément le dénouement fatal et imminent d’un amour né peut-être d’un mirage et à qui les réalités de l’existence eussent sans doute été fatales. Il assiste désespéré à sa lente agonie. Elle supporte son mal avec une touchante sérénité, s’oubliant elle-même pour ne songer qu’aux siens, griffonnant de son écriture d’enfant de naïfs billets pour consoler son ami : « C’est à peine si je puis vous écrire une ligne, mon cher Hardenberg, mais faites-moi ce plaisir, ne vous tourmentez pas, je vous en prie de tout cœur. Votre Sophie ». Lors-