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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

avec Sophie, des journées de fiançailles, libre et sans attache encore, mais fixé déjà par un libre choix. J’aspire impatiemment à la nuit de noces, au mariage, à une postérité ». Et voici qu’il rencontre Sophie dans le cadre idyllique de Grüningen. Sous l’empire de la suggestion qui le tient, il la reconnaît aussitôt pour cette fiancée d’élection dont il attend la venue. Elle est l’objet vers qui de tout temps l’a entraîné son désir inconscient ; elle est la fleur bleue dont le pressentiment a hanté ses rêveries d’adolescent. Tout son cœur s’élance d’un même élan vers la fillette de treize ans, pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle promet, — et en même temps vers l’idéal où tend sa nostalgie, vers cet idéal qui a pris maintenant une forme individuelle et concrète et qui remplit son âme d’une ardeur plus précise. Il lui semble, dans l’exaltation de son bonheur, qu’il touche au port, que la vie elle-même se dispose à lui révéler son mystère, à l’initier à toutes ses beautés et à toutes ses joies. Un instant le mirage radieux qui le tient menace de se dissiper. Il a l’intuition de l’écart qui sépare sa fiancée réelle et sa fiancée de rêve. L’amant de Sophie de Kühn sent la nostalgie et l’inquiétude renaître en son âme. Mais la souffrance et la mort se chargent bientôt de recouvrir sous un voile de poésie toutes les insuffisances de la réalité. Devant le lit de douleur de Sophie, Novalis ne se demande plus si la pauvre enfant qui