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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

elle s’exprime en des analyses si nuancées et si détaillées, que son excès même a paru peu naturel à certains commentateurs modernes. Les plus indulgents y ont vu une sorte de délire de désincarnation qui se serait abattu sur l’infortuné poète, presque un cas de mélancolie hystérique, ou le jeu un peu malsain d’un romantique qui se complaît dans sa douleur à la façon de Werther ou de certains héros de Jean Paul. D’autres, plus émancipés encore de la « légende » habituelle, tiennent le désespoir de Novalis pour une simple pose, une exaltation factice qu’il aurait provoquée artificiellement, en se montant volontairement l’imagination. Un poète ingénieux et subtil, enfin, a récemment proposé d’expliquer cette emprise de la morte sur le vivant comme un cas de vampirisme ! Imaginez que Novalis ait été une souveraine et magnifique nature de maître, une nature d’imperator dans le royaume de l’esprit, saine et sans tare, sans prédispositions à la phtisie, avec un solide « égoïste vital », avec des dons éminents pour les sciences exactes. Imaginez cet être d’élite rencontrant en Sophie l’Ève incarnée, la Femme presque enfant encore, mais en qui l’on pressent déjà l’épanouissement prochain de tous les caractères typiques de son sexe, une créature infiniment attirante pour un véritable homme, d’autant plus dangereusement séduisante qu’elle était, elle, de tempérament morbide et des-