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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

mour. — Une autre métaphore dont la poésie mystique use aussi volontiers est celle de la mort. Pour le soufisme oriental l’âme rivée au corps, captive dans l’existence terrestre, se dépouille de ses impuretés par l’ascétisme, par le sacrifice volontaire de l’élément corporel ; elle vient se consumer dans la flamme divine comme le papillon dans le flambeau qui brûle. Dans le mythe grec, de même, Psyché ou l’âme, sous la forme d’une jeune fille ou d’un papillon est saisie par Éros et consumée dans la flamme de sa torche.— Ou bien encore pour Plotin, pour Denys de l’Aréopage et pour les mystiques du moyen âge, Dieu est conçu comme l’Unité pure au sein de laquelle il n’y a place pour aucune distinction, comme l’Être supérieur à toute détermination, dont on ne peut dire « il est ceci ou cela » — donc comme une sorte de Non-être, de Néant, de gouffre mystique où, par la négation du monde sensible et de la pensée propre, par l’ascétisme et l’abstraction intellectuelle, l’âme vient s’abîmer et la personnalité s’anéantir en Dieu. C’est ainsi que maître Eckart, par exemple, célèbre la « triple mort de l’âme » qui, morte à tout désir, morte à elle-même, morte à Dieu même, car elle cesse de se sentir distincte de son Dieu, vient s’immerger dans l’Océan sans fond de la Divinité et, morte ainsi de sa dernière mort, s’aperçoit enfin qu’elle est elle-même ce qu’elle avait si longtemps cherché en vain, découvre en