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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

elle le royaume de Dieu, trouve qu’elle et la Divinité sont une Félicité et un Royaume. Si la vie divine est ainsi d’une part l’Amour, elle est d’autre part aussi la Mort, la négation de toute vie sensible, de toute existence individuelle. — Et cette même idée s’exprime aussi parfois par une autre image. L’abîme de la Divinité est symbolisé par un gouffre ténébreux où s’engloutit et disparaît tout le monde visible des créatures. C’est ainsi que maître Eckart compare la Divinité à un désert silencieux où rien ne murmure ni n’apparaît, où l’Être absolu, éternellement enseveli dans les ténèbres de son néant divin dort d’un grand sommeil sans rêves et sans réveil. Le royaume de Dieu peut-être conçu comme le royaume de la Nuit.

Ce qui donne, je crois, à la poésie de Novalis son accent si personnel et si émouvant, c’est que les grands thèmes de la mystique chrétienne ou orientale ne sont pas pour lui de simples allégories, mais des réalités vivantes et vécues. Religieux par hérédité et par éducation, issu d’une race pieuse et d’un père converti au piétisme, élevé lui-même pendant quelque temps dans une colonie morave, il sent de bonne heure en lui l’inquiétude religieuse, le besoin profond de trouver Dieu, hors de lui dans la nature et surtout en lui dans le tréfonds de l’âme. Ce besoin religieux devient conscient en même temps que se développe en lui